Schramm
Si dans la filmographie trash de Joerg Buttgereit, nombre de ses films abordaient le thème de la mort (pratiquement tous), il existe une exception qui a de quoi intriguer, puisqu’elle doit être l’œuvre la plus trash de Joerg : Schramm. Schramm, c’est la plongée sans recul dans le quotidien frustrant d’un psychopathe : le tueur au rouge à lèvre. Un tueur en série comme un autre, tuant principalement des femmes avant de coucher avec leur cadavre. Bien que Maniac de William Lustig lui reste supérieur, Schramm vaut le détour en se démarquant de son confrère américain, car si dans Maniac les meurtres avaient pour origine une mère castratrice, Schramm ne s’embarrassera jamais d’explication sur les motivations de son tueur, et collera au plus près de ses fantasmes. En fait, Schramm est à ma connaissance l’unique film tentant de faire du contemplatif avec un tueur en série. Encore un tour dans le manège dérangé de Joerg Buttgereit, et peut-être le dernier sur ce blog.
L’histoire : le quotidien d’un tueur de femmes qui garde pour unique souvenir leur tube de rouge à lèvre.
Dès son générique, Schramm essaye de planter une ambiance de contemplation en face de son personnage (impressionnant), qui vit un quotidien particulièrement vide, où la frustration fait partie des meubles. Joerg rend son univers froid au possible par l’usage d’un style dépouillé, qui se focalise uniquement sur le personnage de son psychopathe, dont il saisit constamment l’isolement. C’est bien simple, même quand il dialogue, le personnage semble seul, condamné à rester incompris jusqu’à la fin de ses jours. Et c’est là que le film se révèle atypique. Si la majorité des films de psychopathes tendent à donner une explication à la personnalité de leur tueur, Scramm ne se lance jamais dans de tels discours, et va même jusqu’à épouser complètement le point de vue de son tueur. La violence n’est plus prise avec distance, elle est carrément filmée comme le tueur est en train de la voir. C’est de là que vient le côté perturbant (et artisitique) du film : il y a des moments où le spectateur a dû mal à comprendre ce qu’il voit, parce qu’il a actuellement la vision d’un psychopathe sous les yeux. Sinon, comment interpréter la scène d’un viol superposé au plan calme d’un océan et à une musique électro se voulant apaisante ? Comment expliquer une scène de valse avec la femme de ses désirs arrivant à l’improviste ? La vision du quotidien du personnage est régulièrement déconnectée de la réalité pour partir dans des directions qui touchent directement à l’imaginaire du tueur (la séquence gore chez le dentiste est clairement une crainte irrationnelle), et qui par conséquent ne prend donc pas ses distances avec son sujet.
Une audace particulièrement couillue qui peut très facilement être retourné contre lui (de par son essence, le film est immoral), mais qui relève du jamais vu au cinéma. Le film tente toujours de faire ressentir son film au spectateur, qui a dès lors une fenêtre ouverte sur son protagoniste tentant de trouver le bonheur auprès d’une prostituée qui le considère comme un ami. Et comme Joerg est un auteur, il expérimente à outrance. Certaines idées sont clairement des réussites (la séquence de la poupée gonflable, abominablement trash, résume en 2 minutes une vie entière de frustration sexuelle), le film osant même s’aventurer dans des symboles cronenbergiens (le tueur a des visions gores de son corps partant en morceaux et d’un vagin à dents assez immonde), mais clairement, le film a aussi de bons défauts. Il est notamment assez redondant, n’hésitant à utiliser deux fois, voire trois la même scène à différents moments du film (relativement court : 1h05), parfois sans apporter vraiment du neuf. Si la vision d’un psychopathe a de quoi déstabiliser, elle est aussi capable de lasser un peu son public. Le film annonçant la mort de son protagoniste dès le début, la fin pourra néanmoins surprendre pour son côté nawak. Notre tueur se retrouve dans une étendue de brume, et là arrive un personnage portant une couronne d’épine (le christ, donc) qui lui colle une baffe tonitruante. La scène arrive tellement à l’improviste qu’on hésite à éclater de rire, devant une conclusion aussi morale après un tel spectacle.
Clairement, il ne faut pas la prendre au sérieux, et voir le film comme un concentré de trash, une œuvre malade filmée par un réalisateur qui ne prend aucune distance avec son sujet, mais qui a suffisamment fois en lui pour livrer un film d’auteur et pas une daube type violent shit. Moins révolutionnaire que Nekromantik, mais Joerg a toujours des choses à dire.