Necronomicon
Et si nous parlions aujourd’hui d’une série B purement lovecraftienne, réunissant les talents de Christophe Gans et Brian Yuzna ? Ces réalisateurs ayant chacun fait leurs preuves dans des domaines différents (pour Yuzna, on citera l’excellent Society ou les marrants Re-animator 2 & 3). Le premier effort de Christophe Gans (Le Pacte Des Loups, Silent Hill) pour le cinéma prend la forme d’un court métrage à budget très limité, et auquel il réussit à imprimer son style. C’est probablement grâce à son talent que Necronomicon a été édité en dvd en France, et le résultat a clairement de quoi satisfaire les bisseux de tout poil (je confirme, je l'ai ! ndrc).
Tout d’abord, le traitement objectif (car ayant adoré l’œuvre en question, je sais que je risque de terminer sur des éloges). Le film accuse le coup en ce qui concerne son budget, et pas mal d’effets spéciaux seront donc au mieux convenables, au pire immondes (le passage dimensionnel derrière le coffre, les monstres du troisième segment…). Le jeu des acteurs, très théâtral et assez exagéré (le moine gardien de la bibliothèque est un bel exemple, rigide comme un manche à balai) sonne souvent comme maladroit, même si on voit où veut en venir le réalisateur (dont la subtilité n’est pas le point fort). Enfin, il faut pouvoir tolérer la mise en forme du film (le film à sketches), et accepter d’être fréquemment déraciné d’une ambiance pour en découvrir une autre. À part cela, si on est réceptif à l’ambiance à l’ancienne du film d’horreur sympathique, qui utilise des clichés en croyant à ce qu’il raconte, on prendra un pied non dissimulé.
En effet, l’histoire nous propose carrément le personnage de Lovecraft comme héros de la trame principale, ce qui ne manquera pas de réjouir les fans de ses écrits, même si le personnage n’est pas forcément bien mis en scène. Le premier chapitre, Les noyés, a été réalisé par Christophe Gans. Dès le départ, on sent comme un vent de romanesque qui imprime la pellicule, les personnages affichant tous une certaine classe. Si le budget fait défaut pour la scène de l’accident (le cliché étant énorme, mais fonctionnant), les décors de la maison sont convaincants, et l’apparition finale, certes prétentieuse (ceux qui ont déjà lu des nouvelles de l’auteur crieront à l’hérésie), mais non moins jouissive, de Cthulhu lui-même, apporte un certain charme à l’ensemble. Partant du drame passé, évoluant vers un discours à la Simettière en mode marin, l’intrigue fantastique classique se suit facilement, et même si on sent que le budget n’était pas suffisant, on voit que Christophe a fait du bon boulot. Ses interviews dans les bonus dvd sont d’ailleurs très intéressantes puisqu’elles décrivent bien le réel enfer qu’a été ce tournage (le making a d’ailleurs pour titre « L’enfer de la série B » qui est loin d’avoir usurper son titre).
Le second morceau a été réalisé par Shusuke Kaneko. Il retrace au passé l’histoire d’une jeune étudiante qui découvre peu à peu la nature des activités de son étrange voisin de l’étage, sorte de docteur Frankenstein tentant de préserver son organisme par cryogénie. Ce chapitre est le plus faible du film, n’apportant pas vraiment de nouveauté par rapport au thème du docteur fou (qui tombe amoureux de l’étudiante). Après une histoire un peu chiante, mais qui se suit, on a droit à une scène d’effet spécial assez impressionnante, qui nous rappellerait presque un Retour Des Morts Vivants 3 pour son impact dans le gore, à la limite du ridicule (encore une fois, c’est une affaire de goûts, ou on s’imprègne de l’ambiance du récit, ou on se moque méchamment), mais sacrément bien fait. Certes mineure, cette histoire a sa place dans l’imaginaire de Lovecraft, et c’est dans cette veine que nous retrouvons Re-animator, une merveille dans le genre.
Enfin, le dernier segment remporte clairement mon prix d’enthousiasme, puisqu’il s’essaye au thriller glauque et malsain au possible, en terminant dans une conclusion qui rappelle en droite ligne Midnight meat train. Si les personnages surjouent encore et ne disent pas toujours des choses importantes, le rythme suffisamment rapide (on ne souffle jamais longtemps) et le jusqu'au-boutisme dans le glauque impressionnent malgré le kitch de la situation. Le seul élément qui nuise vraiment à l’histoire, ce sont les effets spéciaux des monstres, qui sont totalement ratés quand ils sont incrustés en post production. Complètement immoral, vicieux, ce dernier chapitre frappe très fort, et on pourra même le trouver impressionnant, si on garde son sérieux en face du ratage technique.
On passera presque sous silence la conclusion, qui si elle nous donne là encore son lot d’images fortes et de gore caoutchouteux (les effets spéciaux font là aussi peine à voir), ne conclut pas avec génie cette plongée dans l’imaginaire Lovecraftien. Tout compte fait sympathiques, c’est un film bis qui ne cherche qu’à divertir son public sans être trop prétentieux, qui compense les déceptions par quelques effets spéciaux jubilatoires. Probablement moyen pour la plupart des spectateurs, mais ce film se range facilement dans la catégorie des films d’horreur sympathique, qui à défaut de faire peur, offrent un fantastique frais et généreux.