Nekromantik
Jorg Buttgereit, ce n'est pas qu'un nom. C’est un réalisateur mythique. Il a tourné des tas de projet pour la télévision allemande, afin de se nourrir. Et quand il arrivait à réunir assez d’argent, il tournait un film. Mais pas n’importe quel film. Il a toujours produit un cinéma amoral sérieux, cherchant souvent à devenir onirique, en ayant un goût appuyé pour le scabreux. Son film culte, c’est Nekromantik. Disponible seulement en allemand non sous titré, l'existence du film est connue de beaucoup de cinéphiles, mais peu en possèdent un exemplaire (les dvds ne se monnayent pas à moins de 50 euros sur le net). Autant le dire tout de suite, le choc face à la découverte d'un tel objet est rude, mais ce dernier cherche réellement à être un réel travail artistique (aussi, le voir considéré comme un nanar est un grosse déception pour votre chroniqueur).
Une très grosse surprise que le premier visionnage de ce Nekromantik… Attiré par une envie de scabreux, le spectateur s'attend à en avoir pour mon argent, et regarder comme un voyeur malsain une histoire bien crade de nécrophilie. Et bien non. C’est carrément du film contemplatif auquel on est convié. Tout commence avec un accident de voiture meurtrier. Les nettoyeurs de cadavres d’une morgue emballent les morceaux en charpie, et retournent se changer pour rentrer chez eux. Nous découvrons alors que l’un d’eux ramène quelques morceaux avec lui et les collectionne dans des bocaux de formol. Sa petite amie partage ses goûts décalés (elle prend des bains de sang humain), et ils vivent une parfaite histoire. Mais tout bascule quand le nettoyeur découvre un cadavre putréfié au coin d’un bois. Etant pris d’une envie incontrôlable, il vole le cadavre et le ramène à son appartement. Commence alors un drame relationnel d’un trio amoureux. Jorg fait très fort dès le départ, car il humanise le personnage de son cadavre. C’est un homme innocent victime de la bêtise de son voisin (jouant avec une carabine à plomb) abandonné à l’abri des regards.
Pétri de solitude au fond des bois, il est recueilli par le couple, qui s'intéresse de près à sa carcasse. Ce personnage est toujours de la partie même après sa mort ! Une première dans le cinéma, et un véritable concept que recyclera Nekromantik 2. La scène ultime de ce film étant la scène romantique sur le lit, où notre couple donne au mort bien plus de plaisir qu’il n’a pu avoir de son vivant, le tout sur un solo de piano tout ce qu’il y a de plus sérieux et romantique. La facilité serait d'y voir simplement un mauvais goût, fait pour choquer le spectateur en montrant quelque chose d’absurde. Or ce n’est pas le mauvais goût, ou un goût pour le morbide qui est exposé (une séquence du film se déroulant dans un cinéma avec un film d’horreur cliché est explicite à ce sujet). Ce qui est dur, c’est de voir que cette scène est très sérieuse, et qu’il y a vraiment de l’amour dedans. On ne cherche pas à condamner la nécrophilie, mais à la montrer comme un amour tragique et impossible à satisfaire.
On constatera vite l’éclatement du couple, avant le départ déchirant de la petite amie, emportant le cadavre avec elle. En proie à un délire de douleur, notre héros détruira complètement son univers avant de se poignarder en jouissant, entremêlant une dernière fois mort et vie. Car les vraies séquences oniriques de Nekromantik tournent bel et bien autour de l'entremêlement de ces deux thèmes. On voit notre héros courir dans la nature, heureux, en portant quelques fois des morceaux de cadavres, en jouant avec... La mort fait partie intégrante de la vie. Elle en est en quelque sorte la conclusion. Et pour celui qui se sera mobilisé pour comprendre ça (car on peut vite voir un nanar dans ce film pas très adroit), la dernière séquence, inversée, où l’on tuait un lapin avant de le vider, et ou celui-ci commence à revivre, est une sorte de résumé métaphorique complètement fou, tant sa pertinence étonne. Une poésie pas accessible à tous, macabre au delà de l'imaginable, mais d'une inspiration qui touche parfois le sublime.