Bellflower
Premier film d'Evan Glodell, qui réalise, écrit, interprète, monte et produit le projet, "Bellflower" s'annonce comme la curiosité cinématographique du moment. Un budget misérable (on parle de 17 000$) réuni par les différents acteurs du film, une histoire de potes et l'apologie du film « fait à la maison », un peu à la manière du programme culte de Canal+. Fait de bric, de broc et de caméras bricolées et bidouillées par Glodell lui-même, Bellflower séduit d'emblée par sa plastique inhabituelle. Images sales, floues, abîmées, rayées... On est loin des préceptes sacrés du cinéma lisse américain, ici on célèbre le grain et la poussière, l'inachevé et l'imparfait, ce qui donne à l'ensemble une inquiétante et belle étrangeté. A l'aspect bricolé du film répond en partie le sujet même du film puisque les deux compères, Aiden et Woodrow, passent leur temps à fabriquer des gadgets invraisemblables : fontaine à whisky dans une voiture, voiture à la Mad Max, et bien sûr lance-flammes délirant.
Difficile pourtant d'élucider la question du statut de ce film. S'il s'agit d'une fiction de manière évidente, elle agit à rebours de tout mécanisme habituel : les nombreuses manifestations de son caractère fictionnel – les rayures, tâches et autres défauts d'objectifs qui en révèlent la présence – ont l'étrange effet (dirais-je, retour de flamme?) d'ancrer le récit dans une sorte de vérisme, à défaut de réalité. Tout semble vrai, grâce à ce bricolage de chaque instant : les flammes sont de vraies flammes, la bagnole roule vraiment, et cet accident de voiture qui renverse le récit paraît tellement réel qu'on en vient à douter de la santé de Glodell dans la suite du film, tout contusionné et cabossé qu'il est. Une part de documentaire tient donc dans une fiction des plus délirantes et nihilistes qui soient, sorte d'archétype dans l'anti-film indépendant calibré pour Sundance, festival dans lequel il fut pourtant présenté. Véritable objet de contre-culture par tout ce qu'il représente, Bellflower est ainsi promis à l'accession immédiate au rang de film culte, rejoignant en cela nombre de ses références avouées, de Mad Max au cinéma de Lynch, en passant par True Romance, Boulevard de la Mort ou le plus récent Drive. D'autres références peuvent venir par moment à l'esprit, comme des émissions MTV de Bam Margera quand les deux potes trafiquent dans leur garage. Un pur délire adolescent en somme, avec ses défauts : musique parfois trop présente ou utilisée avec paresse – n'est pas Drive qui veut – images qui deviennent quasi publicitaires par moments.
Coup de poing cinématographique et épopée romantique désespérée, le film séduit aussi par ses indéniables faiblesses. Fait d'énergie et de culot, il ose et tente à peu près tout : chapitrage, effet-clip, images montées, remontées, démontées et passées à l'envers, bifurcations... Il ne cesse de nous dire « je ne suis pas le film que vous croyez » et de nous filer entre les doigts. Bien sûr, certaines tentatives avortent, certaines scènes sonnent faux, mais le film rebondit alors et prend une nouvelle direction. A ce titre, la dernière demi-heure est proprement hallucinante, basculant dans une folie sombre, violente et puissamment mélancolique. Œuvre faite d'éclairs et de fulgurances (de beauté, de sexe, de violence), Bellflower opère avec une apparente déconstruction des logiques de remontage internes remarquables, superposant ainsi deux scènes d'amour antagonistes autour de la frustration sexuelle (de l'éjaculation précoce à la pénétration « outillée ») ou effaçant les limites spatiales et temporelles lorsque Woodrow brûles les affaires de Milly. Ce geste de cinéma insensé fait à la fois la force et la limite du film : il crée un nouveau mode de construction de récit mais son aspect forcé ou nécessaire au fonctionnement du film prive celui-ci du statut de chef d’œuvre, dont il n'a pas l'évidence.