Aquaman
Sixième film du DC Extended Universe, Aquaman arrive avec de gros handicaps avant lui. Certes, Marvel a eu son lot de casseroles avant eux, mais ils sont éparpillés sur un plus grand nombre de films. Le principal défaut qu'on peut leur faire, outre le fait de constamment tenter de se redéfinir, sans ligne directrice claire, c'est d'aller beaucoup trop vite, comme pour rattraper la concurrence. Rajoutons à cela des interférences sauvages sur la production des films, particulièrement sur Justice League, et des personnages pas vraiment présentés.... Et on comprend que James Wan (Saw, Insidious, The Conjuring) n'a pas eu la tâche facile avec ce premier film solo sur le prince d'Atlantis.
D'où l'idée de quasiment se déconnecter totalement des précédents films. A une réplique près mentionnant Steppenwolf, plus la réutilisation du terme "meta-humains", Aquaman est purement un film solo. Pas de Superman, ni de Wonder Woman, pas non plus de scènes très complexes faisant références à 15 arcs des comics, censés teaser les prochains films, ce qui alourdissait pas mal Batman v Superman. Non, ici le film se comprend en n'ayant aucune connaissance des autres films. On peut reprocher au film de ne sortir que maintenant et pas avant Justice League, mais le mal est fait et le film assume, c'est donc bel et bien une suite, et non un préquel, bien qu'il y ait de nombreux flashbacks, car c'est bel et bien une "origin story".
Si on avait donc déjà pu observer le jeu de Jason Momoa (Stargate Atlantis, Game of Thrones) dans le rôle titre dans le précédent opus, il était, pardon pour le jeu de mots, comme un poisson hors de l'eau. Ici, on le découvre donc en pleine possession de ses moyens, bien plus fidèle à lui même en héros solitaire qu'en membre de la Justice League. Son charisme impressionnant écrase sans mal la concurrence, en dépit d'une ressemblance assez lointaine avec son homologue des comics, aucun doute, il est Aquaman ! Le reste du casting est également assez bien foutu, avec pas mal de transfuges d'anciens films DC et Marvel : Nicole Kidman (Batman Forever) qui ferait bien d'arrêter le botox, ça lui fige totalement son jeu; Willem Dafoe (Spider-Man) ou encore Dolph Lundgren (The Punisher 1989). A ceux là il faut rajouter un habitué de James Wan : Patrick Wilson (Insidious, The Conjuring) et de nombreux seconds rôles intéressants comme Temuera Morrison (L'Ame Des Guerriers, Star Wars II), Julie Andrews (Mary Poppins) et bien sûr la superbe Amber Heard (Mandy Lane) déjà apperçue dans Justice League, au jeu pas particulièrement raffiné mais idéale pour son rôle de potiche de luxe.
Visuellement, on nous avait vendu le film comme "Star Wars sous l'eau" et c'est totalement ça. Le film offre spectacle époustouflant, totalement délirant, assumant à 200% le côté kitsch des comics, tranchant radicalement avec la noirceur de Man of Steel et surtout Batman v Superman, au point qu'on peine à croire que cela se passe sur la même planète. Il y a autant de différences entre ces oeuvres qu'entre Captain America - The Winter Soldier et Les Guardiens De La Galaxie chez Marvel. Cette oppulente générosite pourra clairement faire fuir certains spectateurs. En effet, on se croirait parfois carrément devant La Petite Sirène, notamment lors d'une séquence musicale avec un poulpe totalement WTF. Mais James Wan fait fonctionner le tout. Comment l'homme derrière les sagas horrifiques Saw et Insidious peut il gérer aussi bien un tel foutoir ? On comprend ainsi mieux pourquoi le réalisateur a commis un Fast & Furious 7 entre 2 Conjuring. Il s'agissait avant tout pour lui, au sein d'un film de franchise ultra codifié, d'apprendre à gérer les très nombreuses équipes qui bossent au sein d'une telle prod et d'avoir la maîtrise des CGI, bien qu'ici ils soient infiniment plus nombreux et visibles que le clone numérique de Paul Walker.
Contrairement à Zack Snyder (Man of Steel, Batman v Superman, un peu de Justice League) et David Ayer (Suicide Squad), Warner semble avoir effectivement laissé les coudées franches au réalisateur asiatique. Sans doute car dès le départ, Aquaman est un projet "fun" et donc plus rassurant pour eux, qui flippent à chaque fois qu'un film est trop dark. Mais également car il a eu une expérience fort satisfaisante d'un point de vue commercial sur Fast & Furious 7... Mais également en sa qualité de producteur, il est toujours derrière le succès de 3 énormes franchises horrifiques, particulièrement celle de Conjuring, qui joue un peu dans le même créneau que DC avec son concept d'univers partagé, via les spin offs Annabelle (laquelle fait d'ailleurs un cameo dans Aquaman) et The Nun. La cohérence inter-oeuvres, c'est donc déjà son truc et en plus il réalise vite et bien. Le film rivalise donc avec Wonder Woman en terme de mise en scène et de personnalité qui transparait au sein d'un film de franchise. DC semble avoir compris ses erreurs et plutôt que d'enchaîner sur Justice League 2, devrait faire plus de films solos, afin de mieux installer leurs personnages et ensuite les réunir ! On attend toujours cela dit qu'ils se décident à réaliser le film The Flash pourtant ils mettent déjà en route Birds of Prey que personne n'attend spécialement. Mais bon, c'est un début et il faut les encourager !
Scénaristiquement le film, situé après Justice League donc, est fait comme s'il s'agissait de la première grosse aventure d'Aquaman. Il découvre Atlantis en même temps que le spectateur, ce qui rend l'univers plus facile d'accès. Ses pouvoirs, assez limités dans JL sont donc en pleine évolution (ce qui rassure pour le futur film The Flash), ainsi bien que ce film solo ne soit pas sorti avant, il n'y a pas de frustration. On découvre véritablement le héros se révéler. On n'évite évidemment pas une quantité astronomique de clichés inhérents au style, mais ça passe très bien car le film assume son côté cartoonesque, limite gamin par moments. Les divers royaumes d'Atlantis ne sont pas tous bien présentés, certains à peine esquissés (mais ça laisse de la marge pour Aquaman 2, 3, 4.....), mais suffisamment explicités pour ne pas larguer. Il y a de l'action, de l'aventure, un petit côté Indiana Jones, le tout est bien rythmé, régulièrement ponctué de flashbacks explicatifs sur son enfance et sa formation, sa famille etc... Mais jamais lourds. Le film est en fait construit exactement pareil que Man of Steel plutôt que comme Wonder Woman qui était à 99% un préquel. En fait le film évite le côté déjà vu essentiellement par son environnement aquatique. Les CGI étant relativement bien faits, bien que ne pouvant guère avoir l'air trop réaliste. On a parfois une sensation proche de "La Menace Fantôme" ou le réel se perd dans un trop plein d'irréel.
Le ton du film contrairement à Suicide Squad n'a pas ce problème d'être le cul entre deux chaises. L'imminente apocalypse est traîtée comme une vulgaire altercation entre deux frères, sur le mode quasi parodique, rappelant par la même Thor Ragnarok. En clair, DC semble en avoir fini avec son côté dark et amorce un virage fun qui en tout cas ici fonctionne bien. Aucun doute que ce sera encore plus le cas pour le prochain film, Shazam qui lui est un personnage encore 20 fois plus ridicule qu'Aquaman. Mais attention à ne pas tomber dans l'excès inverse. Ce qui sied un personnage ne sied pas forcément à un autre. Le prochain film Batman devra lui rester un minimum sombre. Il pourra être plus ou moins léger selon qu'il se passe avant ou après Batman v Superman et Justice League, mais ne pourra en aucun cas être aussi léger et kitsch que ce film, sous peine de ressombrer dans les pires heures de DC (Batman & Robin).
Si Aquaman n'est pas le meilleur film de super héros jamais réalisé(The Dark Knight et Watchmen ont encore de beaux jours devant eux), il est en tout cas un des plus raffraichissants de ces dernières années. Fun, rythmé, autonome, mais parfaitement inclusable dans l'univers global, le métrage entièrement porté par le charisme de Momoa, tel un Dwayne Johnson rendant potable des films plus que moyens, offre un spectacle d'une générosité évoquant le Stephen Sommers des beaux jours. Un divertissement haut de gamme qui revigore un DCEU en berne mais consternera un paquet de spectateurs par ses choix visuels et scénaristiques. Une vraie connerie qui s'assume, mais faite avec talent et bonne humeur !