Tetsuo
Voici un film qui aura hypnotisé on ne sait combien de cinéphiles (pouvant endurer le style expérimental), puisque la force de ses images suffit à motiver le spectateur pour le suivre pendant une heure. Mais quelle heure ! S’appuyant sur une métaphore simple mais efficace (l’homme concassé par la société qui devient une machine), et qui va nous faire partager un véritable trip punk, gore et ultra violent. L’introduction plante d’office les obsessions esthétiques du film : des câbles électriques qui pendent, de la graisse sur les murs, une sensation étouffante de confinement et des décors d’usine.
Un inconnu se mutile pour s’enfoncer un tuyau dans la jambe (on voit sur ses murs des dizaines de photos de sportifs, ce qui laisse planer l’idée que l’homme cultive une quête de performance chez le corps humain), avant de piquer un 100 mètres et de finir percuté par une voiture. Arrive la séquence de présentation de notre personnage principal : un gars en costard qui bosse dans un bureau et qui semble ici secoué de gestes désordonnés (une sorte de rage) sur une musique au rythme industrielle. C’est parti. On suit alors le quotidien de ce cadre, complètement formaté à une existence codifiée, méticuleusement pensée et qui ne cède jamais à la moindre folie. La scène devant le miroir, première saillie gore, sera le premier élément perturbateur de la journée du héros. S’ensuit une longue conversation entre notre homme et sa maîtresse, à qui il répète inlassablement la même chose en pensant à ce qu’il pourrait lui faire, sans pour autant passer à l’acte.
C’est seulement après que la première manifestation machine organisme aura lieu, sous la forme d’une femme au poignet infecté. Cette scène sera d’ailleurs la première où on découvrira qu’une sorte de démon planqué dans la mécanique (l’instinct ?) investira les corps qui se transforment en machine. Ce premier contact, violent (arrachage d’oreille, plantage de stylo dans la gorge…), laisse entrevoir les futurs séquences marquantes de Tetsuo, à savoir ces fameux plans séquence accélérés où le protagoniste se déplace à toute allure dans les rues de la villes. Au cours de l’affrontement avec la possédée, notre personnage est à son tour contaminé par ce démon mécanique. Commence alors la transformation physique et psychique du héros, qui passe de l’état de victime à celui de monstre. Pour le pétage de câble, on prendra comme référence la séquence où le héros, impuissant, se fait sodomiser par un démon féminin arborant un gigantesque tuyau en guise de phallus. Niveau symboles sexuels, le film ne dose pas ses effets, ne perdant jamais une occasion de revenir à ces symboles pour conserver l’impact viscéral de l’œuvre. Mais cet impact est sans cesse entretenu par la transformation progressive de notre homme en machine, ce dernier arborant bientôt une monstrueuse perceuse à la place de son sexe (sa partenaire, véritable bête de sexe que notre homme ne va pas ménager, en fera les frais).
Et bientôt, c’est l’amalgame chaotique entre chair et métal, où tout n’est plus que tuyaux et muscles. Passé ce stade, c’est carrément le mobilier qui se transforme, réorganisant les objets, fusionnant les êtres vivants présents dans les environs (on aura le cas du chat fusionnant avec des ustensiles électro-ménagers et des aliments)… A ce stade, l’incarnation du démon mécanique ne nous surprend plus, mais les séquences qui suivent, graphiquement très fortes, nous conduisent tout droit à la confrontation finale dans un enchevêtrement de câbles, où notre héros mécanique et le démon fusionnent pour former un gros tank qui projette de détruire le monde. Tetsuo, c’est une ambiante démente, dynamisée par une bande originale ultra dynamique et dont les obsessions graphiques accouchent d’une ambiance malade fascinante. N’ayant jamais vu le film en sous-titré, les dialogues restent donc une énigme pour moi. Mais ils me semblent dispensables au vu de la force des images et de la musique, qui créent un extra-ordinaire univers avec peu de chose. Une saga est née.