Soul On Fire (La Vie Et L'Oeuvre) De Peter Steele

Voilà une biographie que l’on n’attendait pas forcément bien que la mort prématurée du « Green Man » Peter Steele ne pouvait que provoquer un hommage posthume. Et le sujet Peter Ratajczyk dit Steele depuis ses débuts de musicien se prête totalement à l’exercice toujours périlleux de la biographie qui demande recul, analyse et empathie pour éviter de tomber dans le piège de l’hagiographie ou à contrario dans la froideur descriptive d’un enchaînement de dates et de faits.

Et la vie de Peter Steele fut hors du commun à l’image de ce géant  prométhéen, génial introverti, force de la nature passant d’une attitude straight rigide à un appétit bachique et à une débauche des sens sans limites, un homme généreux et intègre doté d’un sens de l’humour noir et tranchant qui n’est pas toujours compris même parmi ses fans, une personnalité discrète aimant la nature et ses proches propulsée sex-symbol ultime de la scène dark , un être charismatique et intelligent que le sort n’épargne pas et qui va devenir aux fils des années son propre fossoyeur.  Car la trajectoire de Peter Steele a tout de l’épopée rock’n’roll, faite de flamboyance et de réalité sordide, de cruelle banalité et de génie dans l’excès et la consomption.

On ne peut pas ici s’étendre sur la carrière de Peter Steele, c’est le propos de Soul on Fire mais il est bon de rappeler qui était cet homme qui a influencé tout un pan de la musique hardcore new-yorkaise et dont l’art et l’attitude ont remodelé une partie de la culture gothique et métal, Steele est ainsi souvent cité en exemple par des personnalités comme Phil Anselmo qui l’a bien connu ou Fernando Ribeiro qui voit en lui une influence majeure de Moonspell.
Les débuts de Peter Steele se font d’abord par la rage et l’affrontement via quelques formations éphémères puis Fallout et surtout Carnivore qui rassembletout ce que le thrash metal de l’époque a de plus frontal et provocateur, musique agressive et esthétique post-apocalyptique à l’appui. Si Carnivore reste confidentiel, le groupe va se forger une très solide réputation au sein du monde métal. La jeune scène de La Nouvelle-Orléans de la fin des années 80 va prendre "Retaliation" comme un modèle à suivre dans la brutalité et l’originalité des compostions, mélange inédit de BlackSabbath et de rythmes hardcore "Retaliation" peut même être vu comme un ancêtre du Sludge.

Le succès (et les emmerdes) viendra de sa principale formation, Type O Negative. Les deux premiers albums, "Origin O The Feces" et "Slow, Deep And Hard" offrent  un speed métal rageur et hardcore, Peter Steele et Josh Silver, son ami de tout temps ont côtoyé et joué dans le milieu hardcore et cela se ressent sur ses productions violentes et speed, d’excellents albums mais qui n’ont pas encore la personnalité du disque qui va tout changer en 1993 : "Bloody Kisses".

Délaissant, et c’est un coup de génie, l’univers potache et provocateur des débuts pour se concentrer sur un son mélancolique, très profond et inventif, mêlant avec brio la pop des 60’s et 70’s, le doom et la new-wave, "Bloody Kisses" va lentement mais surement forger  aux côtés des albums rassembleurs et novateurs de Nine Inch Nails et Marylin Manson le nouveau son gothique populaire de la fin du millénaire. La violence métal est apaisée par des mélodies simples mais puissantes, les thèmes se font moins colériques mais savent aborder des motifs éternels comme l’amour et la mort, si ce n’est l’amour de la mort. De par sa complexité, sa structure mouvante et ses classiques instantanés, "Bloody Kisses" est époustouflant et va propulser Peter Steele au rang d’icône. Délaissant un travail qu’il adore aux Parcs de la ville de New-York , la vie bien rangée de Steele va se transformer au fur et à mesure des années et du succès en maelstrom de trahisons, d’abus de confiance, de harcèlements, d’excès sexuels, éthyliques et narcotiques et de violentes dépressions. Comment ce Frankenstein sensible et mal dans sa peau, droit et pourtant torturé à l’extrême aurait  pu gérer les aspects les plus néfastes de la notoriété ? Succéderont à "Bloody Kisses" sur une quinzaine d’années des albums de plus ou moins grande envergure mais toujours suivi par un noyau dur de fidèles. Les expérimentations, les ballades sombres entrecoupées de saillies hardcore, le clavier profond de Josh, le jeu de basse sale et tortueux de Peter et sa formidable voix sépulcrale marqueront des générations d’amateurs de musique dark.

La mort de Peter Steele le 14 avril 2010 due à une septicémie non reconnue provoqua une onde de choc dans le monde métal et de violentes querelles  dans son entourage. On se rendit compte malgré la relative discrétion des dernières années de tout ce que Steele avait apporté à la musique, à ses proches et moins proches et en général au monde du rock, monde qui l’a brûlé et idolâtré comme c’est le sinistre usage. Un petit monde aussi grégaire que mesquin dont Steele était au final détaché mais qui l’a happé malgré son ironie et sa grande lucidité. Car Steele comme Type O Negative n’ont jamais vraiment été compris et c’est aussi de cela que découle leur valeur. Brutes viriles et amants sophistiqués, romantiques graves et solennels et potaches ne respectant rien ni personne, poisons et antidotes, abstèmes et dépravés…les membres de Type O Negative et Peter Steele dans son entière et complexe densité ont su jouer de tous les grands écarts musicaux et esthétiques. C’est dans son caractère unique et ambivalent qu’il faut savoir apprécier et l’homme et sa musique.

Et Soul on Fire ? me direz-vous. Le livre est bon. Il faut dans un premier temps dépasser une impression de fadeur due à la facture journalistique de son écriture. La langue est directe, objective. Mais au final ce portrait empathique mais sans complaisance allié à une abondance de faits et de témoignages apportent une vision éclairante sur la vie de Peter Ratajczyk, humble parmi les puissants, homme de bien dévoré par des pulsions de mort, personnalité aussi froide et hermétique que chaude et généreuse. Une somme d’oppositions qui caractérise souvent les êtres hors-normes et exceptionnels. Peter Steele se révèle au cours de la lecture de "Soul on Fire" plus humain que la plupart des membres d’une humanité qu’il semblait souvent détester. Un hommage bien documenté, bien illustré, qui se lit avec aisance, qui réussit à créer un lien émotionnel sans trop d’effets tapageurs. "Soul on Fire" est un ouvrage solide et sérieux qui bien qu’il ne puisse rivaliser avec les plus grandes bio musicales sert de belle introduction à la vie et à la mort du grand Peter Steele.