Bohemian Rhapsody
Cette fin d'année 2018 restera dans les mémoires comme le revival des films musicaux. Hormis l'échec au box office de Mamma Mia 2, le nouveau remake d'A Star Is Born avec Lady Gaga fait un carton plein... Et risque pourtant de se faire déjà détrôner par Bohemian Rhapsody. En effet, les biopic de chanteurs populaires ont tendance à plaire au grand public, indépendamment de leur qualité (Tina, Ray, Walk The Line, La Môme...), ne serait ce que par nostalgie et pour les chansons connues. A l'évidence, une personnalité un poil borderline, ou une vie chaotique traversée de souffrances sont plus intéressantes cinématographiquement parlant, qu'une carrière sans embûche sur un chanteur tout mignon. Ainsi, peut de chance qu'on voit débarquer un biopic de Christophe Willem dans les prochaines années (à moins qu'il ne se fasse assassiner).
Freddie Mercury constitue à n'en pas douter un sujet de choix pour un biopic, une des plus grandes stars musicales du XXème siècle avec Elvis Presley, Frank Sinatra, Michael Jackson ou David Bowie. L'idée d'un biopic a donc forcément germé depuis un bout de temps. Après quasiment deux décennies de "development hell" et un faux départ il y a 4/5 ans avec Sacha Baron Cohen dans le rôle clé, le film sort donc enfin, réalisé par Brian Singer (X-Men, Usual Suspect) et Rami Malek (Mr Robot) en Mercury. Les membres survivants de Queen étant producteurs exécutifs, on était en droit d'attendre un film un minimum dans l'esprit du groupe légendaire.
Alors pari réussi ? Et bien comme dirait Gui-Home : "Oui et non" ! Oui, parce que la mise en scène est splendide, la reconstitution du Live Aid bluffante et que Malek redonne littéralement vie à l'idôle rock. Et non parce que... Ben pour plusieurs raisons en fait. A trop vouloir romancer la vie de Freddie pour en faire un drame cinématographique, le film sacrifie la véracité historique. Ainsi, pour des raisons évidentes de durée (le film dure 2 heures, pas 5), le film zappe pas mal d'albums. La chronologie des singles ne respecte pas réellement la réalité. Certains points de vues sont tout sauf objectifs et un pan entier du film vers la fin est totalement fictif. Sans spoiler, ces rajouts se justifient d'un point de vue dramatique, le film est une fiction, pas un documentaire. L'ennui, c'est que tout le monde n'est pas un spécialiste de Queen, et on le sait, beaucoup de gens prendront les événements décrits dans le métrage comme authentiques. C'est dommage. Espérons que Bohemian Rhapsody donne envie aux gens de regarder de vrais documentaires sur le groupe... Et bien évidemment de mater des concerts !
L'autre défaut du film est le traîtement de Freddie lui même. S'ils ont réussi à ne pas trop le glamouriser, à conserver sa part d'ombre, ses faiblesses, bref à le présenter comme un être humain entier et pas juste comme une star, son parcours lui est assez mystérieux. Dès le début, c'est déjà un génie, on ne saura jamais pourquoi, d'autant plus qu'ils précisent bien que sa famille n'est pas du tout de cette culture. Sitôt qu'il rencontre les autres membres du groupe, il est intégré, dès le premier concert, ils deviennent des stars et on passe quasiment directement du premier au troisième album, de concerts dans des bars à des tournées mondiales. On ne parle pas du tout non plus de leurs collaborations aux B.O. de Flash Gordon et Highlander, ni de leurs divers duos. Plus facheux, la vision du film de la sexualité de Freddie est totalement hétérocentrée. On comprend que Brian Singer qui a dû quitter suite à un scandale le tournage du film aux 2/3 du tournage s'est en parti fait déposséder du métrage par celui qui a fini le film. Il a probablement plus que tourné des scènes manquantes, mais sans doute aussi remplacé des scènes déjà tournées. Freddie Mercury/Justice League même combat !
Ainsi, Freddie est montré comme relativement heureux lorsqu'il est marié et hétéro, et sa vie semble basculer au fur et à mesure qu'il assume son côté gay. On regrettera cette espèce de normalisation, qui consiste à quasiment voiler ce pan de sa vie, en mettant tout sur le dos d'un manager un peu véreux qui l'aurait traîné dans ce milieu... Et ce pauvre Freddie qui en le dégageant de sa vie se réconcilie avec le groupe et retrouve la joie de vivre... La vérité en plus d'être bien plus nuancée que ça était surtout plutôt éloignée. Ces défauts, s'ils sont assez gênants pour le connaisseur du groupe, ne devraient néanmoins pas trop déranger le spectateur traditionnel, venant simplement assister à un bon spectacle.
En effet, la musique est au centre du film et est célébrée. Le Freddie chanteur y est quasiment divinisé, les autres membres étant presque relayés au rang de sous fifres, bien qu'ils aient chacun leur moment de gloire. On assiste à la création de morceaux mythiques, dont certaines scènes transpirent le vécu ("Bohemian Rhapsody" donc, mais aussi "We Will Rock You" et "Another One Bites The Dust"). Le groupe n'hésite pas non plus à se moquer de certains de leurs titres ridicules ("I'm In Love With My Car"). Les scènes de "live" étant particulièrement réussies, réunissant la majorité de leurs tubes (on notera l'absence notable néanmoins de "Princes of the Universe" et "Bycicle Race"). Bien d'autres chansons sont également entendues extra-diégétiquement durant des scènes non musicales, ainsi que dans le générique. Et bien sûr, Rami Malek est extraordinnaire. Une des meilleures performances du genre avec Val Kilmer en Jim Morrison et Jamie Fox en Ray Charles. Le film est donc du point de vue spectacle un petit bijou d'émotion. Pour peur qu'on ne connaisse pas l'Histoire du groupe, mais juste sa musique, ou tout du moins qu'on sache y faire abstraction, le film réussit son contrat haut la main !
Bohemian Rhapsody, loin d'être le film qu'on pouvait espérer sur Freddie Mercury (on aurait aimé voir la version sans compromis souhaitée par Sacha Baron Cohen) est un beau film, un peu lisse, très romancée. Il s'agit plus d'un conte de fée basée sur la vie de Freddie au sein de Queen que d'un "pur" biopic. Les trahisons à l'égard de l'Histoire peuvent exaspérer les connaisseurs, mais le professionnalisme du film, son interprétation phénoménale et la magie transpirant de chaque séquence musicale achèveront de nous transporter. Un très beau support promotionnel pour le best of de Queen !