US
Il y a 2 ans, le monde découvrait Jordan Peele avec son atypique Get Out. Un thriller sur fond de racisme. Une réussite, nommée aux Oscars, chose rarissime pour le genre, d'autant plus surprenante qu'avant d'être un nouveau potentiel "Master of Horror", le bonhomme est acteur de sitcoms ! Petite claque révélant un don pour la mise en scène, des choix musicaux opportuns et une imagination bien particulière (qu'il relance Twilight Zone est parfaitement logique), le film souffrait néanmoins d'explications particulièrement bancales. Allait-il transformer l'essai avec son second long métrage ou ne resterait il que l'homme d'un seul film ?
Oublions d'entrée les superlatifs abracadabrantesques de fanboys le qualifiant déjà de nouvel Hitchcock. Au bout de 2 films, c'est juste ridicule de le comparer à un cinéaste ayant oeuvré plus d'un demi-siècle et façonné le cinéma moderne. Néanmoins, on peut se mettre d'accord avec eux sur une chose... On tient un nouvel auteur ! Us est une réussite ! Le problème d'en faire la chronique après un seul visionnage est qu'il y a beaucoup trop à dire dessus pour être objectif. Us est riche de sous textes et d'analyses de lectures différentes qui nécessitent plusieurs visionnages. Le film est perturbant, tant par son sujet que par le ressenti qu'il provoque, et en cela, il ôte toute notion d'objectivité. C'est un film sensoriel. Mais pas que.
Abordons donc déjà les points purement objectifs. La direction d'acteurs est parfaite, tout du moins pour les personnages principaux (les amis sont en revanche plus grossièrement esquissés), particulièrement Lupita Nyong'o (12 Years A Slave) qui crève l'écran.
La musique, une fois encore, tient un rôle essentiel, comme un personnage à part entière, qu'il s'agisse de la partition symphonique, ou des classiques du gangsta rap utilisés. Ils ont une utilité à la progression dramatique et ne sont pas là que pour faire genre.
Le montage, alternant les années 80 et 10 crée un deuxième suspens, ne dévoilant que progressivement le trauma de l'héroïne, permettant à la fois d'avoir une vague idée de ce qui se passe, tout en nous menant littéralement en bateau. L'allégorie avec le clip "Thriller" de Michael Jackson est encore une fois, au delà de la simple référence classique, un véritable indice, là pour distiller des informations.
Parlons maintenant du gros soucis de cette chronique : le véritable sujet du film. Il est impossible et pas franchement pertinent de parler d'Us, sans évoquer son sujet, tant il est riche d'interprétations qui influent sur ce qu'on peut ressentir. Ne lisez donc pas la suite si vous ne l'avez pas encore vu.
Attention spoilers donc :
Si on peut effectivement tiquer, encore une fois après Get Out, sur les limites de l'explication pseudo scientifique, l'allégorie de la lutte des classes est très poignante. Le titre "Us" pouvant à la fois se lire "Nous" ou "United States". La fameuse réplique "Qui êtes vous ?"/"Nous sommes Américains" étant assez parlante. Les "reliés", doubles de tous les américains, liés psychiquement à leurs originaux, reproduisant tout, dans des tunnels souterrains abandonnés, mais dénués d'âmes représentent les laissés pour compte de l'Amérique. Ainsi, peu importe que tout ne semble pas parfaitement cohérent, que plus on réfléchit sur le fonctionnement d'un complot aussi gigantesque, plus on voit les limites du script (encore que Jordan Peele affirme n'avoir volontairement révélé qu'une partie du mystère mais qu'il a toutes les clés en tête). Le vrai message du film est tout autre, sur ces gens méprisés qui au fond sont pareils que nous, mais ont juste eu moins de chance de la vie. Le twist final, révélant que Lupita Nyong'o "gentille" est en réalité la reliée, et que la "méchante" est donc la "vraie", qui a disparu petite dans le labyrinthe est significatif du fait que tout ça n'a au final aucune importance. Ce n'est pas d'où l'on vient qui importe, c'est ce qu'on fait qui compte. Ce plan final, symbolisant la solidarité, symbole très chère au peuple Américain, et pourtant si peu pratiquée dans la réalité est totalement significatif.
Fin des spoilers :
Us est une oeuvre maîtresse qui va forcément poser problème pour la suite de carrière de Peele (vas y, vas faire mieux après ça !) mais qui ne plaira pas à tout le monde tant sa réception dépend de ce que l'on en comprend et ce que l'on ressent. Un film qui parle de nous mêmes (d'où le titre), de notre part d'ombre et de nos choix de vie, au sein d'une société qui n'hésite pas à fermer les yeux dessus. De multiples visionnages sont nécessaires pour en saisir la portée. A l'instar d'un Ghostland de Pascal Laugier, le film ne parlera pas à tout le monde, mais il devrait marquer les mémoires. On est très loin du Home Invasion promis par la bande annonce, d'où la déception d'un certain nombre ! A vrai dire, on l'a comparé à Hitchcock, mais c'est plutôt à George Romero qu'il ressemble, en se servant de l'horreur comme allégorie sociale et politique.